Le moulin du Pray ... ou du Prat ?


Aujourd'hui ce moulin est orthographié "Prat". Cependant, on le voit retranscrit "Pray"; d'autres documents (procès-verbaux, plans, baux....), le mentionnent sous les vocables Perray, Pré, Pra et enfin Prat. En breton, Prat signifie prairie. Faut-il y voir la pièce de terre (et donc "Pré"), occupant jadis l'étang que l'on voit aujourd'hui, et que traversait un ruisseau. En gallo-roman, Perray (raccourci "Pray") ou Perrat (Prat, Pras) désignent un lieu pierreux, rocheux: ce qui correspond bien au site. Les perrayers étaient des carriers. Doit-on y voir l'exploitation qui était peut-être faite des roches qui ceinturent cette petite vallée? Par ailleurs, le perré est un revêtement en pierres sèches, qui protège un ouvrage et empêche l'eau de le dégrader... (Petit Larousse). Plus certainement la retranscription "à l'oreille" du mot Prat, provient de la prononciation des mots dans cette partie de haute Bretagne (ou Bretagne gallèse), où l'on roule volontiers les "r". Enfin, à l'inverse de la basse Bretagne on ne prononce pas le "t".

ruines du moulin du Prat

Le plus ancien moulin à marée attesté en Bretagne semble être le moulin du Lupin, implanté dans le fond du hâvre de Rothéneuf en Saint Coulomb (35) : en effet un document atteste de son existence dès 1181. Plus proche de nous, on retrouve des actes sur des moulins à marée voisins du Prat en 1506 (moulin de Mordreuc en Pleudihen), 1557 (le Pont de Cieux en Pleudihen), 1540 (Rochefort en Plouer). Le moulin à marée du Prat pourrait donc dater de la fin du XVème siècle ou du début du XVIéme, voire être contemporain du château de la Bellière, c'est à dire du XIIIème siècle. On ne peut parler du moulin du Prat sans évoquer ce château. Dès le XIIIéme siècle les seigneurs issus de Dinan (Raguenel) s'illustrèrent sur de nombreux champs de bataille et élevèrent du XIIIème au XVèmè siècle une forteresse. Le château que l'on peut voir aujourd'hui, célèbre pour l'élégance de ses cheminées, est le témoin de cette époque. Une descendante des Raguenel, Thiphaine, vécu dans ce château et devint la première épouse de Bertrand du Guesclin (1320 - 1380). Le fief de la Bellière était en ce haut moyen-âge une des plus puissantes châtelleries de la région, ayant droit de haute et basse justice. Le moulin du Prat dépendant de ce fief était donc un moulin banal, c'est à dire que sur un territoire défini, "la banlieue", un certain nombre de sujets appelés "mouteaux", étaient astreints à venir moudre leurs céréales au moulin, en dehors de tout autre. Le "salaire" du meunier était établi sous la forme d'une retenue appelée "droit de moute" correspondant généralement au 1/16ème du poids de grain.

le moulin du Prat vers 1900

Le meunier habitait dans des conditions spartiates dans le moulin, et ce n'est que dans le courant du XVIIIème siècle qu'il a pu résider dans une maison indépendante au village de la Ville Hervy (hameau situé à 600 m du moulin), puis devenu propriétaire à partir de 1876, dans une maison-meunière construite sur place. Et c'est ainsi qu'au rythme du calendrier lunaire, jour et nuit, il lui incombait de faire tourner "son" moulin. En dehors des périodes d'activité directement liées à la mouture, il lui incombait, par devoir et par nécessité, de procéder au dévasement. L'envasement naturel qui a toujours sévi en Rance était source de profit pour le meunier. En effet la vase ou tangue (appelée marne dans cette région), était revendue, une fois séchée, pour servir d'amendement à l'agriculture, et l'on venait parfois de fort loin, dès le XVIIIéme siècle (15 à 20 km) avec des charrettes, pour enlever cet "engrais". L'autre utilisation de ce produit consistait en la réparation de la digue. La marne une fois compactée, était placée à l'intérieur de la digue; une "enveloppe" composée de moellons de granit en assurait le pourtour. Après l'abolition de la banalité, le meunier dut conquérir sa propre clientèle: l'ardeur au travail, la recherche d'une meilleure productivité, l'esprit d'initiative, l'appât du gain, guidaient désormais l'artisan qu'il était devenu, et qui firent les nouvelles motivations de son entreprise.


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